RĂ©guliĂšrement, ICONO interview des artistes, crĂ©atifs, et leur rapport Ă la technologie et lâIA. Aujourdâhui, nous interviewons David Raichman, Executive Creative Director chez Ogilvy. AprĂšs avoir utilisĂ© lâIA gĂ©nĂ©rative pour La LaitiĂšre, Mass Hysteria ou encore ses projets personnels sous le nom de Dave The Preacher, David Raichman nous parle de son parcours, et pourquoi lâIA nâest quâune continuitĂ© de sa dĂ©marche artistique.
On va commencer par ton parcours et comment tu en es venu Ă lâIA. Est-ce que tu avais un background technique lĂ -dedans ou est-ce que ça tâest venu par nĂ©cessitĂ© ?
Jâai fait un cursus littĂ©raire et scientifique. Jâai terminĂ© dans un master en computer science et en logique. Je me suis intĂ©ressĂ© Ă la dĂ©duction naturelle et Ă toute la thĂ©orie du raisonnement dans ma grande jeunesse. Je suis largement dans ce dĂ©lire depuis le dĂ©but. AprĂšs, je me suis toujours intĂ©ressĂ© Ă cette problĂ©matique dans mon industrie qui Ă©tait : comment on peut innover, comment on peut faire des trucs. Câest assez naturellement que je suis arrivĂ© Ă me pencher sur le sujet.
Aujourdâhui, câest quelque chose que tu utilises pour tes crĂ©ations personnelles et avec certains de tes clients. Je me rappelle notamment La LaitiĂšre. Est-ce quâaujourdâhui, tu as lâimpression que lâIA a impactĂ© tout le processus crĂ©atif ou que ça dĂ©pend beaucoup des marques ou de campagnes prĂ©cises ?
Ăa dĂ©pend des agences dĂ©jĂ . Aujourdâhui câest plutĂŽt les IA visuelles qui fonctionnent bien, pour prĂ©senter ses idĂ©es, dans la conception. En revanche, les IA type textuel sont beaucoup moins apprĂ©ciĂ©es parce quâelles ne fournissent pas toujours des choses intĂ©ressantes. Câest plus ça qui a changĂ© en agence. Dans la production, ça change aussi. AprĂšs, lâune des raisons pour laquelle ça a Ă©tĂ© assez mis en partie conception et pas dans la rĂ©alisation finalisĂ©e, câest parce quâil y a eu les problĂ©matiques de legal action sur toutes les grandes IA du marchĂ©. Câest en train de changer puisquâon a Getty, Adobe, tous les acteurs du milieu qui proposent des solutions lĂ©gales. Ăa veut dire quâon se rapproche dâun moment oĂč ça pourra ĂȘtre dans la production finale.
Aux Ătats-Unis, la jurisprudence fait quâune image gĂ©nĂ©rĂ©e par IA ne peut pas ĂȘtre copyrightĂ©e. Est-ce que tu penses que ça va poser des problĂšmes dans la production ?
Oui, mais la jurisprudence ne concerne que le cas dâune image qui a Ă©tĂ© mise dans un procĂ©dĂ© totalement sans aucune intervention humaine. Câest sur ce cas-lĂ quâil y a une jurisprudence. Dans la plupart du travail quâon fait aujourdâhui, il y a une intervention humaine considĂ©rable. Les utilisateurs lambda voient toujours le fait quâils vont taper un chat sur un skateboard et ils vont avoir lâimage.
Câest marrant, jâĂ©tais en train de regarder la page dâun artiste que jâaime bien et que je respecte beaucoup en IA. Il a postĂ© hier une petite image. Il y a Ă©normĂ©ment de travail fait en aval. Il y a de la typographie, de la colorimĂ©trie, etc. La dĂ©fense du copyright peut revenir Ă partir du moment oĂč il y a une intervention humaine massive.
On voit bien que tu considĂšres lâIA comme un outil utilisĂ© par des artistes. Jâai lâimpression que tu fais pas mal dâinpainting dans tes derniĂšres crĂ©ations avec Dave The Preacher. Tu utilises des images qui existent dĂ©jĂ et que tu modifies par IA ?
Non, câest toujours moi qui gĂ©nĂšre. Câest juste que mes procĂ©dĂ©s sont trĂšs complexes maintenant. Ăa ne ressemble toujours pas Ă ce que tu vois dans la norme. Je nâutilise pas midjourney parce que je crĂ©e mes propres LORA. Jâavais fait ça lâannĂ©e derniĂšre pour mon expo. Je nâavais pas fait un LORA parce que les LORA nâexistaient pas. Jâavais fait un training. Maintenant, je fais des LORA avec mes photographies. Je gĂ©nĂšre des photos avec ces LORA qui deviennent extrĂȘmement bizarres, qui touchent les gens. Ăa reste toujours la crĂ©ation gĂ©nĂ©rĂ©e par IA.
Le procĂ©dĂ© que jâutilise est de plus en plus complexe. Je vois beaucoup dâartistes qui utilisent midjourney et qui font beaucoup de buzz. Ils reprennent la tour Eiffel, le pont de Londres, et ils le mettent en rose avec des emballages. Câest une trend. Il y a beaucoup de gens qui font ça. Je considĂšre que câest conceptuellement rigolo, câest du buzz. Je pense que ça adhĂšre Ă une pop culture, câest de lâart pop.
Je suis plus dans cette veine oĂč je cherche Ă exprimer des choses trĂšs particuliĂšres que jâai en moi. Pour le faire, jâai besoin de travailler longuement avec des IA diffĂ©rentes de midjourney qui, pour moi, malgrĂ© lâĂ©volution des versions, ne rend pas suffisamment bien. En tout cas, câest trĂšs capricieux.
Et Ă lâinverse, tu as Dall-E 3 qui est extrĂȘmement rigoureux : on lui donne un prompt, et ça fait un rĂ©sultat trĂšs froid. Câest pas mal, mais câest hyper froid.
Aujourdâhui, la seule bonne alternative, câest celle de stable diffusion avec tout le bordel qui est autour. Pour mes besoins personnels, je fabrique vraiment avec. Quand jâai une vision dans ma tĂȘte, je reste complĂštement dans une image que jâai et je veux la faire. Câest assez technique.
Comme tu disais, tu as beaucoup de trends dâaujourdâhui qui viennent dâoutils trĂšs simples Ă utiliser. Est-ce que tu as lâimpression quâon va sâĂ©duquer Ă ces trends-lĂ ? On va reconnaĂźtre que ça, câest gĂ©nĂ©rĂ© par midjourney et ça se voit, ça câest gĂ©nĂ©rĂ© par Dall-E et ça se voit, et que finalement, on va se fatiguer de ces esthĂ©tiques-lĂ ?
On se fatigue des esthĂ©tiques comme tout. Au-delĂ de juger la technique, il faut juger lâart pour ce que câest et lâimage pour ce quâelle est. Quand tu as une trend qui apparaĂźt, câest super, mais soit tu sors dessus et tu fais du buzz et câest trĂšs bien, soit tu tâen dĂ©gages complĂštement et tu crĂ©es ton esthĂ©tique, ta maniĂšre de faire.
La rĂ©ponse, câest que oui, les gens vont voir des choses, des visages cachĂ©s dans une photo, lĂ câest la derniĂšre trend, mais je ne te cache pas que publicitairement, ça mâintĂ©resse. LĂ , je vais faire une opĂ© lĂ -dessus, ça sort la semaine prochaine, lundi. Mais pour ĂȘtre honnĂȘte, ce nâest pas de lâart. Câest vraiment de la tendance.
Les gens se fatigueront Ă partir du moment oĂč tout le monde fait toujours pareil. Câest Ă toi dâĂȘtre diffĂ©rent. Tu peux avoir une image, un grain, une Ă©motion que peu font et qui va faire que toi, tu vas pouvoir Ă©merger. Tout lâenjeu est lĂ , câest comment tu nâes pas comme les autres.
Justement, tu disais que tu crĂ©ais des LORA. Pour crĂ©er des LORA, il faut avoir un dataset dâimages. Est-ce que tu travailles avec tes propres images ou est-ce que tu crĂ©es des datasets ?
Câest toujours mon mĂȘme dĂ©lire. Je fais des trainings sur mes propres fonds. Jâen ai tellement.
Ăa mâarrive aussi dâaller parfois shooter pour faire un LORA, dâaller prendre certaines choses, des visages, de prendre plusieurs expressions. Tout dĂ©pend.
En fait, ce qui est gĂ©nial avec un LORA, câest que tu peux le doser, tu peux faire pas mal de choses avec ça. Parfois, câest un tout petit peu de LORA que tu ajoutes et que ça va te donner des expressions du visage complĂštement folles. Personne ne le voit, mais on le ressent. Câest ça qui fait que tout Ă coup, les visages ne sont pas froids, mais tu vas avoir un truc bizarre qui apparaĂźt. Ăa vient dâune photo qui a Ă©tĂ© faite pour un LORA et personne ne le sait.
Justement, tu as 20 ans de photos derriĂšre toi. Tu as des archives qui sont Ă©normes. Jâimagine que tu ne crĂ©es pas un LORA Ă partir de toutes tes images Ă chaque fois.
Ah oui, non. Câest des sĂ©ries, des gens, des lieux. Il faut des unitĂ©s pour un LORA.
Jâai toujours Ă©tĂ© un peu maniaque. Je fais souvent des photos du mĂȘme endroit ou des mĂȘmes gens, je prends 50 photos de la mĂȘme personne, je les prends sous tous les angles avec des habits un peu diffĂ©rents, des expressions⊠Câest ça que jâutilise en fait. Sinon, tu nâas aucun rendu intĂ©ressant.
Donc, en conclusion, entre guillemets, pour toi, la crĂ©ation en physique, ce nâest toujours pas fini : utiliser lâIA nâempĂȘche pas de continuer Ă faire des photos.
On va rentrer dans une Ăšre complĂštement hybride. Câest-Ă -dire avec des shoots spĂ©ciaux pour lâIA, avec moins de matĂ©riel, moins de fonds verts, moins de machins. Il y aura toujours des trucs un peu fous que des gens feront avec de lâIA. Mais de toute façon, câest un toujours un minimum de post-production.
Je ne pense pas du tout que ça Ă©voluera dans un tout IA oĂč les gens seront tous derriĂšre leur ordinateur avec juste des prompts. Les outils de productions traditionnels, je pense par exemple Ă DaVinci Resolve, vont Ă©voluer pour pouvoir travailler avec lâIA.